L’EICEV, la seconde rencontre internationale de café de spécialité vénézuélien est un évènement important. Il cristallise l’influence de ce mouvement grandissant centré sur la qualité du café au sein du pays. Le pays produisait du café et exportait également une partie à l’international, il y a juste quelques décennies. A présent le cacao fait la réputation des terroirs vénézuéliens à lui tout seul. Il y a le rhum aussi. Tout le monde connait le diplomático, el problemático.

chapitre 13

Revenir au Venezuela c’est élucider ce paradigme, retracer l’histoire et comprendre le pourquoi des évènements. Le Venezuela est frontalier avec la Colombie et le Brésil qui n’ont plus leur réputation à prouver en termes de qualité de café. La Cosiata en 1826 concrétise la séparation du territoire vénézuélien avec l’union des pays au nord de l’Amérique du sud. Depuis 1819, le Venezuela était un même pays avec le territoire qu’on connaît maintenant comme la Colombie. C’est un fait qu’on aime se ramener en mémoire pour justifier notre recherche de qualité dans le café vénézuélien. La Colombie étant tellement à la pointe des tendances du café de spécialité, c’est à se demander comment le Venezuela est resté derrière et entreprend son chemin dans le café de spécialité que maintenant. Depuis 1830, le Venezuela est considéré comme une nation à part entière. Les conjonctures économiques et politiques sont très différentes d’un pays à l’autre bien qu’ils soient voisins. Pour l’essor du secteur du café au Venezuela, il ne reste plus qu’à tirer les meilleurs apprentissages des pays voisins pour rattraper le temps perdu.

A l’heure où nous écrivons ce texte, ce n’est un secret pour personne que le café qualifié pour la vente aux enchères qui eut lieu lors de l’EICEV, est un café exceptionnel. Chaque producteur a réalisé un travail digne d’admiration pour parvenir à produire un café d’une telle qualité. J’ai une chance immense d’avoir pu goûter à tous les cafés qui ont participé aux évaluations sensorielles minutieuses de plusieurs Q graders. Mais au moment de l’ouverture des candidatures pour faire partie du jury, j’étais bien loin de m’imaginer que je finirai parmi les sélectionnés. 

Juan et moi étions à Carora, on passait du temps en famille. C’était juste après être allés visiter la ferme de Juan Carlos et nous comptions entreprendre la route vers l’ouest, nous rapprocher de Boconó et aller jusqu’à l’état de Mérida. A Tovar, il y a la ferme d’Edwin et Adnoldo. Et puis un jour, on voit l’offre de candidature pour devenir goûteur de café dans le cadre de l’EICEV. Nous n’en savions pas plus à ce moment-là mais on envoi nos candidatures quand même.

C’est drôle de changer de route ainsi. Nous étions de retour à Caracas, sans savoir pour combien de temps. Ce qu’on savait c’est que nous voulions voir comment s’organise l’évènement, de quelle façon le café est sélectionné et qui sont ces personnes qualifiées et chanceuses de faire partie du panel de goûteurs de cafés au Venezuela. Si nous n’en ressortions pas choisis pour évaluer le café, au moins nous aurions fait de belles rencontres et apprit beaucoup de choses. 

Nous étions arrivés au ministère de l’agriculture pour passer une phase de calibration parmi 30 personnes professionnelles dans le monde du café. Celle qui allait nous calibrer, nous guider dans l’évaluation du café pour qu’on puisse être le plus homogène possible dans nos notations était Claudia Pedroza. Goûteuse et torréfactrice, Q grader et responsable du contrôle qualité chez Cafeologia, et comme si c’était peu, juge de la cup of excellence au Méxique. On a fait une présentation rapide de chaque personne qui était présente. Darveris Rivas, Juan Manuel Silva, des producteurs de café étaient du côté de l’organisation de tout cet évènement et participaient à cette phase de calibration qui allait permettre de savoir quels seraient les membres du jury de sélection du café pour la phase nationale. Nous étions bien entourés.

Parmi les candidats venus tenter leur chance, il y avait également les meilleurs baristas, meilleurs torréfacteurs et professionnels du secteur. J’en connaissais déjà certains, et j’étais contente de retrouver des visages familiers. Francesco Guerrieri, David Bracamonte, Ramon Tarbi, travaillent dans des coffee shops, hauts lieux du café de spécialité. Ramon travaille chez Cospe café, le coffee shop de Joel Perez. Pour David, la rencontre s’est faite au hasard. Flânage pour vraiment tuer le temps au centre commercial San Ignacio. J’aperçois au loin une bouilloire avec un col de cygne. C’était bien le signe qu’il fallait que j’aille me rapprocher. David était au service et face à ma curiosité par rapport à l’origine des cafés qu’il servait, nous avons rapidement parlé de méthodes de préparation, de process, de notre projet de visiter les fermes du pays… Il travaille chez café Melosa, un coffee shop - torréfaction à Caracas qui propose du café de plusieurs régions du pays. Il me raconte que la fondatrice de la marque à été impressionnée par tout le mouvement du café en Colombie, de la qualité organoleptique et de la visibilité qu’ont certains des meilleurs producteurs colombiens grâce au secteur de niche qu’est encore le café de spécialité. Chez Café Melosa, on aime le bon café et David le prouve en représentant au mieux son travail de barista et étant le meilleur ambassadeur du travail des producteurs du café qu’il me propose. J’ai passé une bonne partie de la matinée au comptoir, heureuse de juste pouvoir être là et boire du bon café. Je ne savais pas que nos chemins se croiseraient à nouveau. Et ce fut le cas lors de la phase de calibration

Finalement, ils se connaissaient tous, entre eux. Je constatai que la moyenne d’âge était très jeune. Vraiment jeune. Mais je trouvais ça beau. Ce qui prenait le dessus était leur engagement. Ils ont tout donné au café et se positionnent tous comme de fins experts en la matière. On était tous engagés envers le café du Venezuela. La responsabilité était grande. Notre mission était de mettre nos capacités sensorielles au service du travail des producteurs. Donner une chance aux cafés. Tout en restant objectif. Accepter que certains cafés n’atteindraient pas les attributs requis. Mais ne jamais oublier que derrière chaque café, plusieurs mains, plusieurs mois de travail avaient été consacrés au café. Dans les coulisses, quatre machines de torréfaction, des moulins professionnels, des bouilloires énormes, les gazinières qui vont avec. On était au temple du café! Et nous allions consacrer les deux prochain jours au café du Venezuela. Appréhender la fiche d’évaluation du café, savoir comment noter le café, savoir préparer la table de dégustation. Servir le café dans les tasses. Sentir le café, goûter le café. Les moments de délibérations après des tables de dix cafés étaient les plus instructifs. Extérioriser les notes du café auprès d'autres personnes est une expérience très riche. Pour Juan et moi, c’était comme un stage d’analyse sensorielle mais en mieux.

Une journée à la plage. Il en faut bien. On traverse la chaîne de montagne qui sépare la capitale de la côte et nous y voilà. Les pieds dans l’eau. Elle est bonne. La guarapita aussi. L’annonce arrive à ce moment là. Je reçois un message. Je suis appelée à goûter les cafés de 180 producteurs du pays. Reconnaissance et sentiment de paix. Les évènements s’alignent avec le chemin que nous sommes venus entreprendre et nous montrent les prochains pas à suivre. Cette spiritualité me vient en écrivant ces mots et me remémorant les évènements. Mais dans la réalité la tâche n’était pas simple. Une semaine bien remplie, dédiée au café avec la responsabilité de sélectionner les meilleurs producteurs par leurs cafés.

J’étais donc de retour au temple du café auprès des autres goûteurs. Le rythme me plu beaucoup. Prendre le petit déjeuner avec Juan. Me préparer pour partir dans le taxi et me laisser émerveiller par la chance d’être dans une ville que j’adore et d’apprécier le spectacle qu’elle offre aux yeux. Les journées étaient remplies de… café! La cadence, exigeante. Quatre à cinq tables de dégustation de dix cafés par jour. Toute une semaine. Les cafés sont classés par process. On goûte les cafés lavés avec les lavés, les nature avec les natures, les honey et les fermentés également à part. Cela permet plus d’objectivité dans l’évaluation. Le café est torréfié la veille et moulu tout juste avant de le servir sur les tables. On sent et on note le café par son arôme, à sec. On soulève le couvercle des tasses, on y glisse le nez puis on referme pour que les molécules odorantes y restent. On répète cette opération pour chaque tasse et on fait un deuxième tour, même un troisième. Puis arrivent les volontaires de l’évènement qui s’évertuent pour que l’expérience sensorielle se passe du mieux possible. Ils apportent les bouilloires. On verse l’eau d’une façon bien précise et minutieuse pour créer le tourbillon bien comme il faut pour que le café s’humidifie de façon homogène et reste à la surface de l’eau. On attend quatre minutes. Vient le moment de briser cette croûte. On approche bien le nez pour sentir les premières odeurs de ce café infusé. Cette étape doit se passer le plus rapidement possible pour tenter de briser toutes les croûtes à peu de temps d’intervalles. Puis on goûte. La salle se remplit à ce moment de silence et de slurp. Slurping c’est le verbe que je considère le plus adéquat pour décrire cette manière d’aspirer le café de la cuillère. On ne le boit pas. On slurp le café. A la cuillère. C’est le cupping. Chaque détail compte. Chaque étape du protocole d’analyse du café doit se faire méthodiquement. On compromet l’évaluation du café si chaque tasse n’est pas préparée de la même façon. C’est sérieux. 

Une heure. Il faut une heure pour évaluer une tablée de dix cafés. Et une heure ça passe vite. Pendant que le temps s’écoule, chaque tasse récite son monologue et notre mission est d’apprendre et comprendre leur langage, de les déchiffrer. Sur chaque tasse, il y a un numéro et ce numéro transporte vers un paysage, vers des visages, des mains, des gens, des climats, des arbres, des oiseaux, des visions, des ambitions, des apprentissages, des déceptions, de l’amour. C’est tout ça le café. Je n’étais pas en train de parcourir tout le pays avec mes bottes et mon chapeau comme je l’avais imaginé mais j’étais servie comme une reine. Les terroirs et leurs cafés s’exprimaient sur une même table. Je n’avais que mon nez et ma cuillère mais je cherchais à faire du mieux que je pouvais pour honorer le travail derrière. Sentir que j’étais le prochain maillon, que je prolongeais le travail du producteur en travaillant sur un retour, une appréciation complète, exhaustive de son produit me remplissait de joie. Et par-dessus tout, j’apportais mon bagage culturel européen pour évaluer ce café avec une vision tournée vers l’exportation de ce café dans les pays consommateurs.

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