Le goût nous transporte. Les souvenirs ont du goût. Une banane plantain caramélisée, l’eau de coco, le fromage de vache frais. La cuisine me transporte souvent au Venezuela. En y étant, et après tellement d’années loin de tous ces plats que j’adore, je me suis fait amplement plaisir. Autre chose que j’aime de la culture de ce pays, les célébrations religieuses. La festivité liée au sacré est quelque chose que je n’ai pas vu ailleurs, autant qu’au Venezuela. Je tenais réellement à assister aux célébrations de San Antonio. On célèbre le saint pour le remercier des promesses qu’il a tenues et en lui demander d’autres en dansant le Tamunangue. Ça se danse à deux et c’est très beau à voir, les partenaires dansent pour San Antonio donc chaque pas est dansé avec respect, sérieux et élégance. Juan et moi, on n’aura pas pu y aller.

chapitre 14

La découverte d’une culture à travers le goût.

Rien de grave à cela. Le choix a été judicieux. Rester à Caracas était nécessaire. Lorsque nous avons su que j’étais à nouveau sélectionnée pour faire partie du jury pour sélectionner les meilleurs cafés parmi les meilleurs, le choix a été vite fait. Nous renoncions à partir pour le Tamunangue et également pour aller voir des fermes le temps que prendrait l’évaluation de cafés. Je ne pouvais être que heureuse. J’avais eu la chance de goûter aux 180 cafés qui ont participé au concours organisé par l’EICEV où nous en avons sélectionné 48 pour la phase internationale, plus précisément ceux qui ont obtenu un score supérieur à 85. Ces cafés allaient représenter le Venezuela aux yeux des goûteurs internationaux. Maintenant, j’allais pouvoir partager cette expérience sensorielle aux côtés de deux autres goûteurs vénézuéliens, avec des Q graders venus d’un peu partout. Les bons plats et les bonnes bouteilles marquent les souvenirs davantage lorsqu’ils sont partagés. Il en est de même pour le bon café.

Des italiens, des espagnols, des mexicains, des colombiens, des brésiliens, russes, français, grecques… tous venaient pour goûter au café du Venezuela. Par quel miracle se retrouvaient-ils à ce moment ? Le café du Venezuela éveille la curiosité des autres pays. Daniel Noguera est gérant chez Urbana Café depuis plusieurs années à Cincinnati. Il est vénézuélien et a voulu renouer avec son pays en s’ouvrant à découvrir le café qu’il s’y produit. L’EICEV est un moment qui présente beaucoup d’opportunités pour les producteurs et les potentiels acheteurs de café. Pour moi, les opportunités furent nombreuses. Comme je l’ai déjà dit, celle de goûter et voyager à travers les régions productrices de café. Celle de rencontrer tous ces acteurs importants de la filière qui travaillent pour le café de spécialité dans leurs pays. Celle d’apprendre. Apprendre à goûter, à sentir, à réfléchir et apprendre du café tout simplement. Le protocole est établi, défini mais une chose que j’ai pu apprendre grâce à l’expérience, aux jours passés à cupper, en faisant, c’est de créer ma propre approche. C’est décider de quelle façon je vais appréhender les tasses de café en fonction de comment je me sens confortable. En fait, le temps passe tellement vite qu’il faut décider de combien de temps on souhaite dédier à chaque étape. Ainsi, je m’approprie des faits et gestes qui me permettent d’arriver au bout de la dégustation. Sentir le café une fois, deux fois, trois fois, verser l’eau, casser la croûte puis attendre 12 minutes depuis que l’eau est rentrée en contact avec le café, avant c’est trop chaud pour moi, bien que certaines personnes considèrent nécessaire de goûter le café chaud. Tout est valable, chacun trouve le meilleur moyen, son moyen de rendre justice aux cafés. Certains cafés surprennent dès l’odeur, donnent envie d’en découvrir plus et chaque étape du protocole révèle davantage de sa personnalité. Certains cafés surprennent au fur et à mesure. Des fois, il faut 20 minutes avant que le café révèle tout le potentiel de ses attributs. Chaque journée était remplie de surprises et de nouvelles curiosités. Le café du Venezuela est très varié. Il y a des profils pour tous les goûts et lors de la délibération après chaque table de dégustation, les avis convergeaient vers un café de qualité. Les nuances de goût divergeaient, le signe évident de la complexité des tasses. J’aime beaucoup pouvoir développer mes sens, élargir mes références avec le café du Venezuela. J’ai senti que mon approche avec l’évaluation des cafés s’est faite réellement en fonction de ce que je percevais dans la tasse. Il m’est arrivé quelquefois de penser à un café kényan, colombien ou éthiopien en goûtant certains cafés.

La responsabilité est lourde, et c’est une pensée qui ne me quitta plus. Si au fond de moi, je voulais que tous les producteurs soient récompensés pour leur café, je savais que faire le choix était important, allait être décisif pour la suite du café de spécialité au Venezuela. Nous n’avions que le goût pour juger le café et rien d’autre. Pour moi, il y a beaucoup d’autres paramètres permettant de juger et qualifier un café. Le système de production doit être en phase avec les enjeux environnementaux. Mais dans mon cas, je n’avais que le goût et mon pouvoir d’observation. Premier constat, le café lavé est le traitement le plus répandu au Venezuela. Lavado fino. Le café lavé est un café qui a suivi un traitement par voie humide après la récolte des cerises. Les cerises sont passées par une station de lavage, qui dépulpe les cerises de café, fermente le grain pour parvenir à un grain avec plus ou moins de mucilage. Le but de ce traitement est de laisser le moins de mucilage possible pour permettre au café, à sa variété et au terroir de s’exprimer de la façon la plus honnête possible. En tout cas, c’est comme ça que je le vois. C’est le traitement communément employé dans le café de commodité. Généralement les acheteurs n’achètent que du café lavé et séché. Se basant sur leurs anciens apprentissages et méthodes, les caféiculteurs qui misent sur le café de spécialité produisent surtout du café lavé. C’est donc en grande partie ce qui constituait nos tables de dégustation, ne laissant que peu de place aux cafés naturels, honey et modulés. Ça tombe bien, j’aime beaucoup le café lavé. Et j’ai su apprécier toutes les subtilités qu’il y a dans tous ces cafés. Certains sont doux, cacaotés, mielleux alors que d’autres penchent plus sur des goûts acides, fruités. J’aime la sincérité avec laquelle s’exprime un bon café lavé. Sans artifices, il dévoile la complexité de sa personnalité sans en faire trop. C’est un café qui parvient à faire parler de lui sans aucune prétention. Pour moi, c’est le traitement qui fait parler le climat, la terre, l’écosystème, les producteurs. Le terroir vénézuélien fait parler de lui à travers ces nombreuses tasses de cafés.

René Orellana est une personne à l’écoute de ce terroir. Il est à l’initiative du projet de coffee shop quiero1café, lieu important pour le café de spécialité à Caracas. C’est un homme qui a cherché à valoriser le produit et la production vénézuélienne. Il est amoureux des bons produits et du travail humain. Dans son coffee shop des baristas experts de l’extraction proposent des cafés de toutes les régions du Venezuela. Trujillo, Mérida, Miranda… Il y en a pour toutes les envies. Surtout pour l’envie de découvrir le pays et se laisser impressionner par ce qui se produit localement. Le pari de René, c’est déjà de surprendre les vénézuéliens. Leur faire connaître et accepter le savoir-faire local est un défi. Au Venezuela, il y a une facilité à se tourner vers les produits d’ailleurs. En renouant, lui-même avec le café du Venezuela, il a renoué avec la bienveillance envers son pays mais surtout la fierté d’appartenir à cette culture. Ce fut une personne avec qui je suis contente d’avoir partagé ce moment plein de découvertes pour moi et plein de retrouvailles pour lui. Il y a une richesse certaine dans le café de spécialité au Venezuela. Il ne reste qu’à la reconnaître et la dévoiler.

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