Les belles rencontres sont difficiles à résumer. Le but n’est pas de raconter exhaustivement tout ce qui nous est arrivé pendant ces trois mois au Venezuela. C’est impossible. D'ailleurs, entre toutes ces péripéties, Juan a réparé la coccinelle de son grand-père. Une voiture dans laquelle nous avons pu accomplir beaucoup de choses, faire de beaux voyages. On aura mis du temps à la mettre en route mais les sacrifices ont été récompensés. Le jour où j’ai vu Edwin pour la première fois, Juan n’a pas pu venir mais ça aura valu la peine par la suite. C’est a Cospe café que j’ai rencontré Edwin. Il ne pouvait pas rester très longtemps mais j’ai pu échanger suffisamment avec lui. Une nouvelle importante celle d’avoir donné un terme au projet de Trinidad avec son cousin. Ainsi, nous ne pourrions plus aller à la ferme qu’on avait connu. Mais un nouveau gros projet en préparation avait de quoi me réjouir. Un projet de réunir les cerises de café de différents producteurs pour les traiter dans un centre de traitement post récolte pour pouvoir révéler au mieux les attributs sensoriels des cafés sélectionnés. Edwin continuait donc à expérimenter avec les process de fermentation. On se quitta rapidement mais il me laissa une dose de café. J´allais pouvoir le préparer chez moi et j’attendais avec hâte le moment de le déguster avec Juan. Le tableau était complet mais pas comme nous l’espérions. Les choses peuvent changer, mais on n’aurait pas pu anticiper cette séparation.

chapitre 15

Victor Montilla, rencontré au championnat de brewing nous invita à boire un café avec lui. On se donna rendez-vous chez Savignano café. C’est une torréfaction coffee shop qui propose des cafés fins du Venezuela. Dont celui de Victor Montilla. On était en compagnie de la quatrième génération de producteur de café et buvions de son café au même moment et à la même table. Nous souhaitions le rencontrer, faire sa connaissance et écouter toute son histoire. Son père avait laissé tomber la ferme familiale, il ne croyait plus en l’essor du café et à quelconque bénéfice pouvant être tiré de la production de café. Victor Montilla a parié sur cette ferme et sur son savoir-faire. Surtout sur l’apprentissage en continu pour atteindre la qualité. Et il espérerait de tout son cœur obtenir reconnaissance de la récolte de cette année. Son café je l’ai goûté à l’aveugle tout au long des phases de sélection des meilleurs cafés. On attendait de savoir quelle place il allait obtenir dans quelques jours, lors de l’annonce finale de la rencontre internationale des cafés de spécialité. On espérait comme lui qu’il obtienne un prix à la hauteur du compromis envers son café et à son approche agricole. Il valorise beaucoup l’écosystème et l’écoute de ses plantes. Pour lui, les plantes s’expriment et avec l’expérience et la patience, il parvient à comprendre ce dont elles ont besoin. C’est la première récolte dont il est vraiment fier. Dans quelques jours il allait savoir à quel point son travail allait lui rapporter.

Le jour était arrivé.

Les producteurs étaient au rendez-vous. Ils venaient à la capitale pour recevoir leurs prix. Nous voulions assister à ce moment et faire leur connaissance. J'éprouvais une grande émotion à l’idée de pouvoir mettre des visages sur les cafés que j’avais passé des semaines à goûter, évaluer, apprécier. Je voulais tous les rencontrer, discuter avec eux, boire du café avec eux, les écouter surtout. Écouter et absorber leur savoir-faire, leur amour de ce qu’ils font. Du café. Je pense qu’il y a une culture grandissante autour du café. Le bon café éveille des idées, des pensées. Quand on aime le café de spécialité, notre consommation est dictée par cette culture. Les baristas et les torréfacteurs que j’affectionne sont les ambassadeurs de cette culture qui prend de plus en plus de place dans ma vie et celle de Juan. Mais le producteur, le maillon le plus éloigné de nous lorsqu’on boit son café dans notre coffee shop de quartier est le véritable expert en la matière. Celui qui sait exactement ce qu’il fait. Celui qui est en lien direct avec la terre qui donne naissance à ces plantes et ces fruits. La culture du café est une chose, savoir produire du bon café est autre chose. Si les deux s’allient, peut être pourrions nous donner lieu à des discussions intéressantes visant à résoudre certaines problématiques? On était au bon endroit pour ça.

Le programme était chargé. Des conférences étaient organisées tout au long de la journée. Chaque intervenant allait évoquer le café depuis sa propre expertise. Et les intervenants avaient de quoi susciter de l’envie. On arrive, il y a du monde qui grouille de partout. C’est dans l’espace conférence qu’on cherche à se rendre et sur le passage on croise des amis, des collègues. Les conférences ont déjà commencé et la salle est bien remplie.

A côté de moi s’installent trois messieurs, avec des chapeaux, ils ont une belle allure. Ils se présentent. Ce sont des producteurs. Leurs cafés font partie de la sélection. Juan, Roney et Marcelino ils s’appellent. Ils produisent à Bocono. Juan n’a que 23 ans mais il est bien décidé à dédier sa vie au café, à la ferme familiale. Ces parents lui ont conseillé de suivre des études et de ne pas tout abandonner pour le café, ayant assisté au déclin de la production du café à leur époque. C’est ce qu’il a fait pour les rassurer, mais son orientation était claire dès le début. Il aime apprendre de nouvelles choses chaque jour. Il a conscience qu’il lui manque beaucoup d’apprentissages. Mais il aime s’entourer de ses collègues. Les producteurs de sa région. Il suit les conseils des producteurs aguerris déjà par l’expérience. Il comprend qu’il faut s’entraider dans le milieu et c’est ce qui lui plait également. De mon côté, je lui fais part de mon humble projet de faire connaître le café du Venezuela. Il me promet un échantillon de son café. J’éprouve une immense joie et de la reconnaissance.

Assister aux conférences de la programmation en compagnie des producteurs, c’est assister au besoin d’apprendre. Il y a une volonté sincère de la part des producteurs à écouter, retenir et appliquer ce que ces intervenants viennent transmettre. Bien que le producteur soit expert et maître de sa propre terre, de son exploitation, il y a une humilité énorme. Au Venezuela, nous ne sommes qu’au début de l’ouverture vers le café de spécialité. Il y a beaucoup d’apprentissages à suivre et à corroborer avec le temps. La constance permettra d'asseoir les compétences. Jesus Salazar, le cafeólogo à l’initiative du projet de sourcing et de torréfaction cafeología au Mexique était l’un des intervenants. L'écouter fut une grande opportunité pour moi également. J’admire beaucoup son travail à travers le café et auprès des producteurs. Il a une approche centrée sur la qualité tout autant que sur les valeurs éthiques qu’il souhaite véhiculer dans le café. Il va aussi à la base des définitions. C’est intéressant de se mettre à réfléchir à propos de la différence entre un paysan et un agriculteur. Vous la connaissez, vous?

La recherche de qualité dans la tasse va de pair avec la tolérance aux maladies et aux nuisibles dans le café pour Bilal El Ayoubi. Le créateur des variétés vénézuéliennes monte claro, araguaney. Ce sont des variétés issues de croisements d'autres variétés. Celles-ci ont la particularité d’être conçues pour s’adapter aux terres et au climat du pays. Pendant les conférences, certaines sur la culture du café, d’autres sur l’histoire du café. Il y a beaucoup de choses qui se passent en parallèle. Tout comme on a fait la connaissance de Juan Cruz, on a fait la connaissance d’autres producteurs. Certains, étaient pour nous des célébrités qu’on espérait croiser, et échanger ce qu’on allait pouvoir bien échanger en sachant qu’ils allaient être très sollicités par la suite. Nous eûmes de très belles surprises. José Pereira et Reynaldo Mujica sont des producteurs rendus célèbres dans le coffee shop de René Orellana. Ils produisent des lots de café différenciés. On les connaissait par leur café, nous voulions les connaitre en personne. Ils nous ont ouvert chaleureusement leurs portes. En parlant avec eux, nous pouvions déjà nous imaginer dans leur ferme, parmi les plantations, sous l’ombre des arbres. Ce sont deux amis de longue date qui cultivent du café ensemble dans la ferme La Peñita. Ils gèrent également la station expérimentale del Laurel qui appartient à une des universités les plus reconnues. La Peñita se situe à une demie heure de Caracas dans l’état voisin, Miranda. Lorsqu'ils nous ont invité on parvenait à imaginer la coccinelle arriver jusqu’à la ferme.

Voyager et visiter les fermes, c'est ce qu’on voulait faire le plus au monde. Visiter la ferme de Juan Carlos Mujíca nous a confirmé ce besoin et cette envie de découvrir les cafés depuis leur lieu d’origine. Mais au moment de l’EICEV, cet évènement rempli d'effervescence, je n’avais qu’en tête de tirer le meilleur de ce moment. Certes, c’était à Caracas. Mais c’était l’occasion de rencontrer, discuter avec les acteurs du café que nous connaissions déjà et que nous ne connaissions pas encore. Alors il y a avait du travail. Au moment de rencontrer Francisco Rosales, notre perspective à quelque peu changé; Nous n’avions plus en tête le départ dans les montagnes avant notre retour proche en France - il ne restait que deux semaines avant de reprendre l’avion -. Francisco est un producteur de café à Boconó également. Un lien s’est créé, je ne peux plus me souvenir exactement comment la conversation a évolué mais je sais qu’à un moment Francisco tenait réellement à ce qu'on aille voir sa ferme. Pour lui, il fallait qu’on aille à Boconó visiter les fermes. Il nous emmènerait voir sa ferme et connaître les autres également. Mais il voulait qu’on y soit, après l'événement. C’était une charge électrique. Clairement, nous voulions y aller. Nous avions une voiture aux normes ou presque et le plus important, une invitation chaleureuse. Boconó est à 8h minimum de Caracas. Donc une petite partie de nous même était douteuse, rationnellement allions nous pouvoir arriver jusqu’à Boconó en voiture? Combien de temps allions-nous mettre en bus? Allions nous avoir le temps d’être prêts et rentrer à Caracas à temps pour notre vol? Beaucoup de questions se posaient. Mais très sincèrement, l’excitation était déjà en nous. Nous nous rapprochions de l’idée de mettre à l’épreuve la coccinelle du grand-père de Juan. Rencontrer Francisco avait été décisif et c’est vraiment lui qui nous a permis de considérer réellement ce que nous voulions faire.

Et cette rencontre nous a mené vers une autre rencontre. Celle de Ligia Báez, octogénaire qui gère depuis des années sa ferme de café avec son mari. Il est français, originaire de la Dordogne et amoureux des montagnes andines du Venezuela. C’est une des peu nombreuses fermes à être entièrement organique. Ligia est pédiatre à la base, elle adore les enfants et tout ce qui est scientifique, méthodique et propre aussi. Elle travaille le café avec une approche scientifique et avec beaucoup d’amour. Elle met beaucoup l’accent sur le fait de faire les choses avec amour et avec soin. C’est une femme inspirante. C'est presque impossible de ne pas tomber sous le charme de cette dame. On peut parler des heures avec elle et s’émouvoir puis juste après rire aux éclats. Venir à Caracas était important pour elle bien qu’elle serait volontiers restée dans ses montagnes de café. C’est éprouvant de se déplacer aussi loin et de constamment faire des aller-retours de l'hébergement au salon. Mais c’est important. Pour elle, ses enfants et l’équipe qui est derrière elle. Le café ça se travaille à plusieurs. Dans quelques heures les résultats allaient tomber. Ligia, Francisco, Juan, José, Reynaldo, Victor et tous les autres allaient savoir à quel point leur café allait être récompensé. C’est certainement déjà une reconnaissance d’en être arrivé à ce stade de la compétition, le travail a payé. Mais la vente aux enchères des meilleurs cafés allait permettre aux producteurs de rentabiliser leurs coûts liés à la production de café de haute qualité et peut-être même pouvoir investir pour les années à venir.

Actuellement au Venezuela, Juan et moi sommes en train d’assister au début du café de spécialité. Les producteurs prennent le bon chemin. L’éthique et la morale prennent de plus en plus de place. Les terres sont valorisées, exploitées et préservées. Maintenant, ce qui va assurer l’essor, le vrai, faire que la quantité puisse être représentative de la qualité potentielle de ce terroir, est la constance. Le but serait que chaque producteur sélectionné pour son café, le soit également l’année prochaine et dans dix ans. Parce que l’apprentissage s’acquiert d’années en années, de récolte en récolte. Et d’ici dix ans beaucoup de choses pourront changer mais le café de spécialité continuera à être une filière qui cherche sans arrêt à s’améliorer, à se poser les bonnes questions. c’est une filière dont la démarche est vertueuse face aux enjeux économiques, sociaux et écologiques.

A l’annonce de leurs noms, les cris de joie des producteurs avaient de quoi nous faire sortir les larmes. On voyait bien qu’ils n’étaient pas venus seuls à l’évènement. Souvent, la famille était avec eux. Et en entendant le nom de leurs fermes, ils sautaient de joie, s’embrassaient, criaient. C’était la joie sous toutes les formes d’expression. La caféiculture est une affaire de famille. Et encore plus qu’une entreprise c’est carrément un style de vie dans beaucoup de cas. Pas tous. mais souvent, vivre à la ferme que ce soit par choix ou non implique de vivre au rythme des caféiers. Les cycles dictent les moments forts. Il y a une bonne raison de sauter au plafond lorsque la récolte est bonne. Et encore plus lorsqu'on peut l’échanger contre une somme d’argent généreuse. Ligia, Juan Cruz, Ricardo Garcia, Fernando Pedroza, Francisco à la troisième place et Victor Montilla à la première place ont reçu une rémunération plus que juste pour leurs cafés et on irait visiter leur ferme quelques jours après même si à ce moment d’euphorie totale nous ne le savions pas encore.

Les producteurs avaient tous les projecteurs dirigés vers eux. Les sommes d’argent généreuses flambèrent lors de la vente aux enchères des cafés. Encore mieux, les acheteurs étaient locaux et aussi internationaux. Jérémie, responsable des formations chez Belco pendant 8 ans et maintenant torréfacteur chez Piha café en faisait également partie. C’était très tentant de repartir avec un de ces cafés. on savait qu’ils étaient bons, sans aucun doute on les avait goûtés. Mais toutes ces rencontres, le parcours de ces producteurs, les avoir ici présents et parler avec eux donnait de quoi raconter. et finalement c’est ce que j’aime du café. L’histoire qui l’accompagne également. Le bon café nous donne l’occasion de connecter entre nous, avec la terre. Avec les humains qui sont à l’origine de ce café. Jérémie était à la table des acheteurs prêt pour repartir à Bordeaux avec un des meilleurs cafés de cette récolte. C’est une situation qui n’est pas évidente à décrire et moi même j’ai l’impression d’avoir assisté à une scène irréelle. Comme si ça avait été un rêve un peu farfelu qui pourtant semble réel. Lorsqu’on commence à le raconter on s’aperçoit qu’il n’a ni queue ni tête. Bon, dans le cas de cette vente aux enchères, l’enjeu était énorme pour les producteurs. C’était l’occasion de vendre un sac du meilleur café que t’aie produit au prix le plus élevé qui soit. Bref, toute la salle était en euphorie totale. Les cris partaient de tous les sens pour motiver les acheteurs à renchérir toujours plus. Le producteur face à la table des acheteurs, en larmes. Moi-même, en larmes. Parce que le moment était beau. Je n’avais jamais eu l’occasion d’assister à quelque chose de pareil.

Jérémie parvint à acheter du café. Il arrivera à Bordeaux et j’espère que les personnes qui le goûteront apprécieront tout ce qu’il y a derrière. Finalement, l’EICEV, la vente aux enchères et tout ça c’est peut être la confrontation finale. Celle du producteur avec le consommateur. La rencontre des deux mondes. Et assister à l’allégorie est une chance inouïe. Juan et moi on espère sincèrement que ces récits touchent des personnes qui chercheront à goûter du café vénézuélien. D’autres récits sont à venir très prochainement. Plus tournés vers nos voyages et les visites dans les fermes.

A très vite

Crédit photo :

Pierre Wolf-Mandroux (1,2,5 et 6)

Mélissa Pelgrain (3 et 4)

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